Y en avait une, c'est sûr, qui avait des cheveux bruns, un peu ondulés, un peu comme toutes les filles que je voudrais bien être, une sorte de signe distinctif dont je ne prends complétement conscience qu'après coup, quand je range sa photo mentale dans mon cerveau ordonné de grande malade.
Je développe d'ailleurs de plus en plus d'obsessions liées au rangement ces jours-ci. Je me trouve même parfois incapable de me sentir détendue si les chaussures forment un tas bordélique sur le lino. Alors je pense à toutes les fois où je me suis foutue de la gueule des manies de ma mère – qui classe tout de même ses pinces à linge de couleur par couleur et repassait derrière moi quand j'étendais mes culottes pour que chacune d'entre elles ait bien deux pinces de la même couleur // oui, je sais.
Là, je pense surtout un vieux téléfilm d'Arte sur l'adolescence, celui sur les années 80 je crois, où une fille pleine de tocs organisait une fête et se laissait dépasser par le chaos et les incrustes. Pour la scène finale, elle était assise sur un canapé, au milieu d'un salon ambiance post-bombardements, et, enfin cool et cooptée par ses copains de lycée, elle repoussait un déchet du pied pour qu'il soit aligné avec le tapis, si je me souviens bien. Amazing.
Elles étaient deux donc, et elles traînaient leurs blousons jumeaux devant les urgences de l'hôpital où j'avais atterri avec ma cousine simplette et son pote colleur d'affiches dans le métro qui était le seul à avoir une voiture et un boulot quasi diurne (les autres étaient plutôt videurs de boîte de nuit, gardes du corps des Garçons Bouchers ou travestis au Bois de Boulogne). Je fumais encore des clopes pour cramer le temps, et je regardais les deux filles, me demandant sérieusement si ça pourrait m'aller, à moi aussi, ce genre de blouson avec un col en grosses côtes noires et une broderie de dragon dans le dos. Je sais pas trop ce qu'elles foutaient là, mais elles avaient pas l'air trop investies, ni traumatisées d'attendre. Peut-être que comme moi, elles ne faisaient qu'accompagner. Y avait un mec avec elles, j'ai compris après, ça devait être lui. Elles tournaient autour de ses biceps comme des petites abeilles, minaudant tout leur miel, roulant un peu du cul au passage. C'était léger, assez frais. Plus frais, sans aucun doute, que les clodos qui faisaient l'aller retour entre les sièges en plastique de la salle d'attente et la cabine téléphonique dehors, pour appeler le 115.
ça a duré quelques heures, une bonne partie de la journée. Ce qui me fascinait, c'est qu'il ne semblait pas y avoir de rivalité, pas de dominante, pas de suiveuse. Pourtant, c'est presque toujours le cas. Moi j'aurais pas porté le même blouson qu'une copine sans qu'il y ait au moins un petit peu de compétition. Ceci dit, je ne suis pas trop trop douée pour les amitiés, féminines ou pas, d'ailleurs.
Vers la fin du jour, il a fallu partir. Elles étaient toujours là, toujours le même manège autour du musclé, toujours les mêmes blousons brodés, toujours la classe. Le pote de ma cousine, lui, il a été beaucoup moins fasciné que moi.
"C'est deux petites putes, tu vois. Et lui, c'est leur mac."
Il s'y connaissait, il en avait vu d'autres, il avait même été flic dans une autre vie.
N'empêche, ils étaient mortels ces blousons.